[François Villon] Ballade (En riagal, en arsenic rocher)

Ballade (En riagal, en arsenic rocher)

En riagal, en arsenic rocher,
En orpiment, en salpêtre et chaux vive,
En plomb bouillant pour mieux les émorcher,
En suif et poix détrempée de lessive
Faite d’étrons et de pissat de juive,
En lavailles de jambes à meseaux,
En raclure de pieds et vieux houseaux,
En sang d’aspic et drogues venimeuses,
En fiel de loups, de renards et blaireaux,
Soient frites ces langues ennuyeuses !

En cervelle de chat qui hait pêcher,
Noir et si vieil qu’il n’ait dent en gencive,
D’un vieil mâtin qui vaut bien aussi cher,
Tout enragé, en sa bave et salive,
En l’écume d’une mule poussive
Détranchée menue à bons ciseaux,
En eau où rats plongent groins et museaux,
Raines, crapauds et bêtes dangereuses,
Serpents, lézards et tels nobles oiseaux,
Soient frites ces langues ennuyeuses !

En sublimé dangereux à toucher,
Et ou nombril d’une couleuvre vive,
En sang qu’on voit ès palettes sécher
Sur les barbiers quand pleine lune arrive,
Dont l’un est noir, l’autre plus vert que cive,
En chancre et fic, et en ces claires eaues
Où nourrices essangent leurs drapeaux,
En petits bains de filles amoureuses
(Qui ne m’entend n’a suivi les bordeaux)
Soient frites ces langues ennuyeuses !

Prince, passez tous ces friands morceaux,
S’étamine, sac n’avez ou bluteaux,
Parmi le fond d’unes braies breneuses ;
Mais, par avant, en étrons de pourceaux
Soient frites ces langues ennuyeuses !

François Villon

[François Villon] Rondeau (Mort, j’appelle de ta rigueur)

Rondeau (Mort, j’appelle de ta rigueur)

Mort, j’appelle de ta rigueur,
Qui m’as ma maîtresse ravie,
Et n’es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n’eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n’avions qu’un coeur ;
S’il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !

François Villon

[François Villon] Ballade des pendus

Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

François VILLON