[François Villon] Rondeau (Mort, j’appelle de ta rigueur)

Rondeau (Mort, j’appelle de ta rigueur)

Mort, j’appelle de ta rigueur,
Qui m’as ma maîtresse ravie,
Et n’es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n’eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n’avions qu’un coeur ;
S’il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !

François Villon

[François Villon] Ballade des pendus

Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

François VILLON

[Pierre de Ronsard] Amour me tue si je ne veux dire

Amour me tue si je ne veux dire

Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m’est de mourir :
Tant j’ai grand peur, qu’on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.

Il est bien vrai, que ma langueur désire
Qu’avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé : tant me plaît mon martyre.

Tais-toi langueur je sens venir le jour,
Que ma maîtresse, après si long séjour,
Voyant le soin qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folâtrement m’ayant
Entre ses bras, prodigue, ira payant
Les intérêts de ma peine avancée.

Pierre de Ronsard

[Pierre de Ronsard] Je n’ai plus que les os

Je n’ai plus que les os

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant le face,

En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Pierre de Ronsard